Comment les prosternations jusqu’à terre ont guéri une sciatique. Les Lipovènes d’Astrakhan.

Auteur de l’article original : Veronika Shoshko.

Récemment, nous avons visité le village lipovène d’Ouspekh, dans le district de Kamizyaksky de la région d’Astrakhan, et nous avons raconté comment les habitants célébraient le dimanche du Pardon. Et nous avons promis à nos lecteurs la deuxième partie de l’histoire. Nous tenons notre promesse.

Un Peuple légendaire

Les ancêtres des Lipovènes d’Astrakhan, les vieux croyants russes, qui n’ont pas accepté les réformes ecclésiastiques de Nikon, ont quitté la Russie il y a 300 ans et se sont installés à l’embouchure du Danube, dans la région de Dobroudja. Et en 1947, ils sont retournés dans leur patrie historique. Les habitants de deux villages roumains – Kamenka et Serikoi – ont été installés dans la région d’Astrakhan. A cette époque, Ouspekh n’existait pas encore. Il n’y avait que le village de Korey, dont les habitants furent expulsés. On y amena les Lipovènes, le jour même de l’Intercession de la Mère de Dieu, le 14 octobre 1947. Dans un endroit quasiment vide.

« Ma mère avait 12 ans quand ils sont arrivés », raconte la lipovène Tatiana Bondareva. – Le village était là, les berges étaient à l’abandon. De vieilles maisons en torchis, sans fenêtres ni portes. Et c’était l’hiver. Merci, dit maman, l’hiver a été chaud. Certaines personnes, plus prévoyantes, avaient emporté des cadres et des portes. Ils ont aidé les autres. Le Kolkhoz fit don de farine et de sucre. Et il y avait 12 à 16 enfants dans les familles. Au début, c’était la panique, puis nous avons compris qu’il n’y avait rien à faire. Avec Dieu, avec la prière, nous nous sommes mis à la tâche. Nous avons commencé à construire les maisons de bain. pour sept familles en tout. Lundi c’est à vous de prendre un bain, mardi à vous, mercredi à vous. Et puis, une fois installé, tout le monde a commencé à construire pour soi-même. On a regardé autour de nous, et on a monté notre propre ferme« .

À cette époque, se souvient Tatyana, il n’y avait pas de terrain vague autour du village. Un verger a été planté près de la colline, il y avait une usine de briques, des champs – tout était complètement occupé. « Pas un seul mètre ici n’était vide. Puis, une fois sur pied, nos pêcheurs ont commencé à pêcher, à planifier. Et lentement, ils ont commencé à se déplacer vers la rive, vers la rivière. Parce qu’ici, dans la steppe, on creuse des puits, et l’eau est salée ».

Les maisons ont été également construites par tout le village, elles ont donc été finies rapidement.

Leurs ancêtres leur ont dit de se serrer les coudes, car un par un, ils n’arriveraient à rien. C’est ainsi qu’ils essaient de vivre : ils célèbrent toutes les fêtes du village, en particulier l’Intercession, le vendredi, ils prient à l’église pour tous les défunts – il y a des livres de prières spéciaux, où tous les noms sont inscrits.

Aujourd’hui, parmi ceux qui sont « partis » de Roumanie en Russie il y a presque 85 ans, il reste 15 personnes. Les grands-mères ont entre 90 et 95 ans. « Ma mère a 87 ans », dit Tatiana. – Et il n’y a plus d’hommes âgés, seulement des grands-mères. Elles prient beaucoup et souvent et ont dû supplier pour avoir une vie aussi longue. Et nos hommes étaient tous des pêcheurs et la vie d’un pêcheur est courte, leur travail est dur. En général, notre peuple était fabuleux- il était très travailleur et il labourait beaucoup. En général, ils n’ont pas ménagé un seul gramme d’eux-mêmes. Ils pouvaient rester éveillés pendant des nuits entières – ils travaillaient et travaillaient. C’est pourquoi il y a eut « Ouspekh » (NDT : succès en russe).

Le Sarafan de Serikyoy

Comment vivent aujourd’hui les descendants de ce peuple légendaire ? Il n’y a pas beaucoup de nouveaux arrivants dans le village, dit Tetyana, 10-15 maisons, le reste sont des enfants et petits-enfants des fondateurs lipovènes. Combien d’habitants y a-t-il dans la colonie ? Il est difficile de répondre. « Par exemple, les enfants sont enregistrés ici, et travaillent ailleurs, ils ne viennent presque jamais ici. Mais nous serions 100-120 personnes. Et c’est encore un progrès ! Le village vit. Ici, nous avons créé un ensemble de musique et un musée. Et nous avons une place et une église. Nous sommes peu nombreux, mais nous sommes solidaires !

Le musée local était installé dans l’ancien bâtiment de l’école maternelle, qui est maintenant une sorte de club de village. Il créa ses collections à partir des coffres, des greniers et des granges, en fonction de ce que les anciens résidents avaient conservé. Principalement des objets du siècle dernier : un tonneau de vin en chêne – les lipovènes ont toujours été célèbres pour leur vin, bien qu’ils en aient fait un usage plutôt modéré. Certaines choses ont été faites par les mains de Tatiana Bondareva elle-même. « Ma grand-mère me disait : ma fille, fais tout de tes propres mains, n’engage jamais des gens pour travailler pour toi, fais tout toi-même. Depuis, je sais tricoter, peindre, filer et coudre. Je couds des costumes pour la collectivité, des vêtements pour les prêtres, des vêtements d’apparat – tout cela par moi-même« . Il y a aussi d’anciennes pièces de collection qui sont venues avec les premiers colons de Roumanie. La ceinture du grand-père de Tatiana, Trifon, une robe d’été de Serikyoy. Elle devait nécessairement couvrir les genoux, et les chemises des femmes étaient portées avec un col fermé et des manches longues

Une chemise de Kamenka – brodée par l’épouse à son époux Dmitry. « Avant de se marier, une fille organisait un enterrement de vie de jeune fille« , explique Elena Chetikova, directrice artistique de l’ensemble vocal Lipovanchka. – Lors de l’enterrement de vie de jeune fille, elle a dû broder une chemise pour le futur marié. Pendant qu’elle brodait, les filles chantaient. « J’étais l’enfant préféré de ma mère et de mon père » et d’autres chansons. Et en même temps, les garçons chantaient des chansons, faisaient une ronde, prenaient un seau de vin et régalaient leurs amis. Et celui qui donne le plus de vin chantera le plus de chansons. »

Le chemin vers l’église en 80 ans

Et la principale joie du village reste l’église. En retournant sur leur terre ancestrale, les lipovènes espéraient y trouver leur église. Ils ne l’ont retrouvé que 80 ans plus tard, en 2017. Et comme leurs ancêtres, ils l’ont construite avec tout le village. En style Stakhanov, dit Tatiana Bondareva. « Il se trouve que les arrière-petits-enfants de ceux qui sont arrivés ici avaient déjà promis de construire cette église. Mais nous avons vu comment nos grands-parents priaient, jeûnaient, faisaient l’aumône, comment ils s’occupaient des personnes âgées, des personnes seules. Nous l’avons assimilé dès notre enfance. Et en un an et demi, nous avons tout construit ensemble. Dieu s’est occupé de tout« .

Puis on commença à apporter des icônes – tout celles qui restaient. Elles venaient des anciens, des arrière-grands-parents de Roumanie, qui les tenaient eux-mêmes de leurs arrière-grands-parents. « La lune de miel – c’est ce qu’on disait avant », dit Tatiana. – Une famille est créée – il devrait y avoir des icônes de saints dans la maison avec les noms du mari et de la femme. Ils étaient commandés à des peintres d’icônes, puis transmis de génération en génération.« 

Il y en a également de nouvelles. Une baba Ganya, Agafia Kuzminichna Verevkina, 90 ans, a « écrit » (c’est-à-dire commandé) plus de dix icônes.

Les vieux lipovènes, en raison de leur santé, ne viennent pas très souvent à l’église. Les jeunes viennent surtout pendant les mois les plus chauds. « On fête Pâques, on fait des gâteaux, on peint des œufs. Le dimanche du pardon, nous allons courir pour demander pardon les uns aux autres, dit Tatiana. – Le prêtre arrive et tout le monde court : qui à la pénitence, qui à la confession. Celui qui est digne, recevra la communion. Enfin dire que tout le monde prie… en fait les petits-enfants apprennent : « Notre Père », « Il est digne », « Je vous salue Marie » – ces prières, nos enfants devraient les connaître. Mais, bien sûr, dans ce tourbillon, conserver une foi identique à celle de nos aînés – non, ce n’est plus le cas.  Mais Tatiana elle-même prie à l’église tous les jours. Son grand-père Sazon Bujorov, aujourd’hui décédé, lui a appris à lire le vieux slavon.  » Il a dit : Tatiana, j’ai failli enterrer tout le village, je lis le psautier, je suis sur le point de mourir, et personne ne lit pour les morts. C’était un bon grand-père. Savez-vous quel bon vin il faisait ? Tout le quartier s’en souvient : Grand-père nous a régalé avec un si bon vin ! Il n’a pas vécu jusqu’à son 95e anniversaire.« 

– C’est vrai qu’on dit que les vieux croyants ne boivent pas ? – Non, on ne boit pas, on ne fait que lever le coude (rires). Nos grands-pères bien sûr avaient compris : trois verres de goutte – et c’est tout.

Dieu est Amour

Nous n’avons pas pour tâche de nous plonger dans les méandres des croyances et des rituels des Vieux Croyants. Mais Tatiana nous a parlé de certaines caractéristiques. Les attributs indispensables de la prière – châles, écharpes, podrushniki (sortes de sous-main), lestovki. Ils cousent leurs propres podrushniki. Dans un podrushnik chaque fragment de tissu a sa propre signification. « Là nous y trouvons les 4 évangiles, les 4 évangélistes, 12 de ces fragments sont 12 apôtres. Et là c’est la terre où nous prions, où nous offrons notre gloire et nos requêtes à Dieu« , explique-t-elle.

Chaque dent de la lestovka a également sa propre signification. « Ce sont les 12 apôtres, 40 sont les 38 semaines et 2 jours que la Vierge a porté le Christ dans son ventre, les étapes suivantes sont les 33 années de la vie du Christ sur terre, et 17 sont les 17 prophéties. C’est pour commémorer tout cela que les lestovki ont été fabriquées, – explique Tatiana. – c’est à nous désormais de conserver ce savoir; mon arrière-grand-mère avait l’habitude de prier pour la santé et le bonheur, devant n’importe quel saint, Dieu ou la Mère de Dieu. Les lestovki ne quittaient jamais les mains des vieux ».

Il est nécessaire de se ceindre la taille avant de commencer la prière. Lorsque l’on fait une prosternation, il ne faut pas toucher le sol avec les mains, elles doivent être placées sur le podrushnik. « Chez nous, des Vieux Croyants qui ne se prosternent pas jusqu’à terre, surtout pendant le Carême – Dieu nous en préserve« , dit Tatiana. – Quand tu as une sciatique, un mal de dos, commence à te prosterner : cela satisfait Dieu et tu y gagneras de la santé. Une fois, alors que j’avais quarante ans, un prêtre est venu me voir et m’a demandé : « Tu pries avec une lestovka ? J’ai dit : « Père, j’ai une telle sciatique, je ne peux pas ». Il m’a dit : « Prends sur toi et essaie, tu iras tout de suite mieux. Et vous pouvez imaginer – les trois premières prosternations se sont fait dans les cris, puis un peu plus silencieusement, et ensuite j’ai commencé à sauter comme une petite chèvre, et depuis lors je n’ai jamais cessé ces prosternations.

Les vieux croyants sont très zélés en ce qui concerne leur foi et leurs rituels et n’aiment pas beaucoup laisser les non-croyants participer à leurs services. Mais Tatiana Bondareva a son propre avis sur la question. « Deux mille ans ont passé – qui sait avec certitude ce qui est bien et ce qui est mal ? J’ai lu l’Evangile – il ne parle que d’amour et d’entraide. Il dit : pardonnez-vous les uns aux autres et vous serez pardonnés. Quelqu’un s’est égaré, a perdu son chemin, mais ce n’est pas à nous de juger, Dieu nous jugera tous. Dieu est amour, alors aimons et pardonnons.

Source : https://punkt-a.info/news/glavnoe/kak-zemnye-poklony-vylechili-radikulit-astrakhanskie-lipovane-chast-ii

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