Le Christ, Sysoev et moi ..

On trouvera certainement contradictoire que j’associe le père Sysoev avec les vieux rites. Sysoev s’opposait ouvertement aux vieux ritualistes. Et ce pour une bonne raison : le fond de la population russe accorde plus d’importance aux usages, à la rhétorique populiste (pour ne pas dire nationaliste), et surtout à la grandeur de la Russie, quelqu’en soit le vernis idéologique. Il n’est donc pas étonnant de trouver encore aujourd’hui des « orthodoxes » russes prônant le retour au soviétisme, et idôlatrant (sic) le petit père Staline. Contradiction quand tu nous tiens !

Le missionnaire génial que fut le martyr Sysoev visait une rééducation du peuple, un recentrage sur le Christ et son enseignement. Une ré-évangélisation en quelque sorte.. Chose incertaine pour certains groupes religieux russes dont l’envolée patriotique finit par l’emporter sur l’enseignement de l’Eglise. Et il n’est pas étonnant de voir des pratiques païennes refaire surface, sur le modèle de nos « revivals » celtiques en France.

Mais nous serions bien mal inspirés en revanche de remettre en cause la relation primordiale qui existe entre le Christ et la praxis. Si les vieux croyants font d’un syllogisme un peu rapide (« les rites sont la Foi ») un fondement de leur dogme, il n’en reste pas moins que leur témoignage dépasse, et de loin, la simple extravagance d’une secte.

Que dirions-nous si nous taxions Saint Serge de Radonège d’hérétique ? Non pas, me répondriez-vous, ce Saint admirable est au-dessus de tout soupçon. Et pourtant ce Saint admirable du XIVème siècle se signait à deux doigts, et se prosternait comme nos vieux-croyants actuels. Notre interrogation résisterait-elle si nous retournions encore plus loin, à Byzance ou à Jérusalem au Vème, VIème siècle ? Comment donc devrions-nous considérer la rigueur ascétique des premiers moines ? Leurs liturgies, leurs usages ?…

Si on en croit certains « modernistes » – au nombre desquels Sysoev ne se trouve pas je le précise – l’archaïsme du rituel est à éliminer parce qu’il n’apporte rien à la Foi. Il représente au mieux un folklore, au pire une superstition. Nous en sommes donc à considérer que les 2000 ans de la Chrétienté n’ont été qu’une somme inégale de comportements primaires et condamnables. Exit les canons liturgiques de l’Eglise indivise, exit les règles millénaires, les jeûnes, les reliques …

Cette attitude révèle une mécompréhension totale de l’orthodoxie.

Les rites ne sont pas arbitraires. Ils représentent des siècles d’expériences, de tentatives et d’évolutions. Suivre les usages de l’Eglise c’est déclarer être son enfant. Et Il est important de se comporter à la hauteur de l’Espérance qui est la nôtre, même dans les voies les plus modestes. Non par une quelconque idolâtrie, mais par une humilité toute particulière devant Dieu.

Or, si je me juge trop intelligent ou trop sage pour suivre ces usages, je risque de finir par me trouver trop intelligent ou trop sage pour des choses plus fondamentales. C’est ce qui est arrivé à Serge Boulgakov, instigateur de la sofiologie, entrainant avec lui l’Institut Saint Serge dans cette tourmente hérétique. Il a fallu un théologien de génie, le Père Georges Florovsky, profondément traditionaliste, prônant un retour aux Pères de l’Eglise, pour que la chose soit condamnée.

Tikhon

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